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Mondiaux de cyclisme au Rwanda: Kigali musèle la presse tout en décriant le manque de couverture

Le Rwanda accueille ses premiers Championnats du monde de cyclisme dans une atmosphère de propagande et de répression médiatique. Alors que Kigali se plaint d'un manque de couverture, le régime de Paul Kagame bloque systématiquement l'accès aux journalistes critiques, soulevant de sérieuses questions éthiques.

ParÉric Bouchard
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Vue des Championnats du monde de cyclisme à Kigali avec en arrière-plan la réalité de la censure médiatique

Les Championnats du monde de cyclisme à Kigali masquent une réalité troublante de censure et de répression

Le Rwanda accueille présentement ses premiers Championnats du monde de cyclisme dans une ambiance de propagande sans précédent, alors que le régime autoritaire de Paul Kagame joue un double jeu médiatique troublant. D'un côté, Kigali se plaint d'un prétendu « boycott » de l'événement par les médias internationaux, mais de l'autre, le gouvernement rwandais bloque systématiquement l'accès aux journalistes jugés trop critiques envers son administration. Un contrôle de l'information qui fait froid dans le dos Le cas le plus récent qui illustre cette politique répressive est celui du journaliste belge Stijn Vercruysse. Malgré son accréditation en bonne et due forme délivrée par l'Union cycliste internationale (UCI), il s'est vu refuser l'entrée sur le territoire rwandais. Plus inquiétant encore, le ministre rwandais des Affaires étrangères s'est permis de commenter publiquement sur Twitter: « Encore heureux que le journaliste n'ait pas mis les pieds au Rwanda. » Une menace à peine voilée qui témoigne de l'impunité totale dont jouit le régime de Kagame. La liberté de presse, victime collatérale d'un système totalitaire Depuis plus de deux décennies, le président Paul Kagame a fait du contrôle de l'information l'une des pierres angulaires de son pouvoir. Les conséquences pour les journalistes qui osent enquêter sur les zones d'ombre du régime sont souvent tragiques. John Williams Ntwali en a payé le prix ultime, assassiné en 2023. D'autres, comme Charles Ingabire ou Jean Bosco Gasasira, ont d'abord été contraints à l'exil avant d'être retrouvés sans vie. Dans ce climat de terreur, comment espérer une couverture objective et honnête des Mondiaux? Le sport comme outil de propagande Comme le souligne pertinemment une enquête de Zola View, ces Championnats du monde s'inscrivent dans une stratégie plus large où le sport sert de vitrine internationale à un régime répressif. Kigali cherche à projeter l'image d'une capitale moderne et dynamique, mais derrière les podiums et les cérémonies protocolaires se cache une réalité bien plus sombre: répression politique systématique, soutien documenté aux rebelles du M23 (confirmé par les Nations unies), corruption présumée dans l'attribution de l'événement par l'UCI, et exploitation des travailleurs dans la capitale. La communauté internationale s'indigne Face à cette instrumentalisation cynique du sport, un mouvement de protestation prend de l'ampleur sur les réseaux sociaux. Des centaines d'internautes dénoncent ce qu'ils qualifient de « Mondial du sang » avec le mot-clic #TourDuSang, faisant référence au lourd tribut payé par les populations civiles congolaises victimes des actions déstabilisatrices du Rwanda dans la région. L'UCI et ses commanditaires face à leurs responsabilités L'Union Cycliste Internationale et ses principaux partenaires commerciaux (Tissot, Total Energies, Santini) se retrouvent dans une position de plus en plus inconfortable. Comment peuvent-ils continuer à se réclamer de l'éthique sportive tout en légitimant un régime qui bafoue ouvertement la liberté de presse et les droits humains les plus fondamentaux? En permettant à Kigali de filtrer ainsi l'accès des journalistes, l'UCI devient de facto complice d'un système où le sport sert à blanchir la répression et à donner une caution morale à un régime pointé du doigt par l'ONU pour son implication présumée dans des crimes de guerre et sa participation active au génocide en cours dans l'est de la République démocratique du Congo. Deux poids, deux mesures? Alors que la communauté internationale appelle au boycott d'Israël pour ses actions à Gaza, comment expliquer l'impunité dont continue de bénéficier le régime rwandais? Cette question mérite d'être posée, particulièrement ici au Québec où nous sommes traditionnellement à l'avant-garde des luttes pour les droits humains et la liberté d'expression. Le devoir de mémoire et de vérité En tant que société qui valorise la transparence et la démocratie, nous ne pouvons rester silencieux face à cette instrumentalisation du sport à des fins de propagande. Les athlètes et les amateurs de cyclisme méritent mieux qu'un événement terni par la censure et la répression.

Éric Bouchard

Journaliste québécois basé à Montréal. Couvre les questions identitaires, la politique fédérale et les enjeux environnementaux.